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Le canal de Bernistap et le tunnel de Buret / Houffalize

Le canal de Bernistap et le tunnel de Buret / Houffalize

21 Juil, 24 | Comprendre l'Ardenne, histoire, lieux

L’idée de relier la Meuse au Rhin n’était pas tout à fait neuve lorsque Guillaume d’Orange Nassau se lança dans un des plus grands chantiers de son époque. L’entreprise avortée nous léguera un des sites les plus insolites de toute l’Ardenne : le souterrain de Buret ou le canal de Bernistap.

De la France à la Belgique en passant par la Hollande

Et, saut dans le temps, pour commencer : en 1814, l’Empire français commence à vaciller, l’empereur est exilé sur l’île d’Elbe. Sans savoir que Napoléon reviendra un an plus tard et sera définitivement battu à Waterloo,  le congrès de Vienne confie les destinées de ce qui n’est pas encore la Belgique, ni le Grand-duché de Luxembourg  au roi Guillaume de Hollande. Un garçon bien sympathique, au départ, mais qui va mal tourner. Ses maladresses, comme disaient alors les diplomates, feront qu’il sera rapidement pris en grippe par ses nouveaux sujets. L’imposition du néerlandais comme unique langue nationale, les vexations infligées aux catholiques (les Hollandais sont majoritairement protestants), l’augmentation des impôts, la censure de la presse et la laïcisation de l’enseignement font déborder le vase. Par la révolution de  1830, les Belges et les Luxembourgeois boutent Guillaume dehors et prennent leur indépendance.

 

Un projet pour ouvrir la voie du développement

Guillaume, s’il n’était pas très psychologue avec la diversité de ses sujets, avait cependant une vision économique progressiste. Conscient que le développement passait nécessairement par un réseau de communication efficace, il engagea une série de grands travaux. Et certains, comme notre canal de Bernistap, accéderont au podium des “Grands travaux inutiles”.

Les voies de communication les plus faciles pour l’époque sont incontestablement les voies d’eau, car elles permettent le transport rapide de tonnages importants. Si on conçoit bien aujourd’hui de développer  la mobilité par des liaisons entre deux autoroutes parallèles, il paraissait tout aussi évident au 19e siècle de construire ces liaisons entre deux fleuves parallèles, tels que la Meuse et le Rhin.

Guillaume se donna corps et âme dans ce projet.

L’Ourthe, la Wolz puis la Moselle, et enfin le Rhin

Sur la carte, on voit la Meuse à l’ouest et son passage à Liège qui s’industrialisait déjà en ce début de 19e siècle. On voit, à l’est, le Rhin qui traverse Bonn ou Cologne. Sur la carte, on a vite fait de tracer une ligne droite entre ces grandes cités.

Alors, pourquoi passer en Ardenne pour relier fleuves et rivières qui permettent les échanges commerciaux ? L’Ardenne est si éloignée des grandes activités commerciales.

Parce que, il fallait trouver un endroit où ces deux grands fleuves se rapprochent par l’intermédiaire de leurs affluents. Quitte à remonter aux sous-affluents, voire aux sous-sous affluents.

Et là, quelque part, à proximité des villages de Tavigny, de Buret et de Hoffelt, le ruisseau de Tavigny prend sa source en direction de l’Ourthe puis de la Meuse. De l’autre côté de la ligne de crête naît un autre ruisseau qui lui s’en va vers la Woltz, et puis la Sûre en direction de la Moselle pour rejoindre le Rhin. La liaison à créer entre les deux bassins fluviaux ne représentait donc que cinq kilomètres.

Le tracé est donc dessiné par la nature. Encore faut-il que ces rivières naissantes soient rendues navigables. Ce qui nécessite les grands travaux qui rendent le projet ambitieux et même très ambitieux. Plus des deux cents écluses seront nécessaires entre Liège et Wasserbillig, des kilomètres de chemins de halage, un travail colossal.

Cependant le gros morceau des travaux reste quand même de relier l’Ourthe et la Woltz ; là il faudra vraiment creuser un canal et entailler la colline pour que les rivières se rejoignent, renforcées par les ruisselets qui coulent entre Tavigny et Hoffelt.

Un canal, c’est entendu, mais pourquoi un tunnel ?

Pour joindre les deux bassins fluviaux, il faudra passer de l’autre côté de la ligne de crête en bateau. Par définition, une ligne de crête, c’est haut, à une altitude plus élevée que les deux ruisseaux que nous devons relier par un canal. Tellement haut qu’il faudrait au point culminant creuser de 60 mètres pour rejoindre le niveau qui relierait nos deux sources. Creuser sur soixante mètres de profondeur et sur plusieurs kilomètres, de long c’est un travail énorme avec les moyens techniques disponibles à l’époque. Les ouvriers et ouvrières étaient équipés de pioches, de pelles, de paniers en osier et de brouettes…

Là où il y aurait trop de déblais à évacuer, il est bien plus facile de creuser SOUS la terre et de faire un tunnel pour rejoindre les portions du canal venant de Bernistap à l’ouest et du village de Hoffelt à l’est.

Et voilà l’idée.

Les promoteurs eurent le bon goût de commencer ce grand projet par son passage le plus difficile : le tunnel qui devait s’étirer sur un tracé en ligne droite de 2528 mètres. Bien leur en prit, car la liaison fluviale ne sera jamais terminée.

Peu de temps après les débuts du chantier, les Hollandais furent renvoyés chez eux par les révolutionnaires de la future Belgique. Ils emmenèrent leurs capitaux et leurs finances, laissant le projet de Guillaume d’Orange en plan.
Recapitaliser le chantier par le nouvel état belge était en soi un grand casse-tête, mais surtout, le chemin de fer naissant rendait le transport fluvial beaucoup moins vital au développement économique. La liaison fluviale devenait inutile.

Ainsi donc, de la ferme de Bernistap s’en va un canal abandonné d’un peu plus d’un kilomètre pour arriver à l’entrée d’un tunnel qui devait traverser la colline sur deux kilomètres et demi pour rejoindre la tranchée de Hoffelt et relier l’Ourthe belge à la Wolz luxembourgeoise. Il fut creusé sur la moitié de sa longueur initiale avant l’abandon des travaux. Plus tard, un éboulement l’a bouché à trois cents mètres de l’entrée.

Que d’efforts, que de sueur pour rien, notre époque n’a pas inventé les « travaux inutiles ».

 

 

Le souterrain qui devait être creusé à 60 mètres sous le sommet de la crête ne sera jamais terminé et le rêve de Guillaume ne verra jamais le jour.

100 après

À la fin des années 1920, le canal était devenu ce qu’on appelait alors « un lieu de villégiature ».
Le canotage était une activité très à la mode.
(Photos : Collection Marian Struzik)

La ferme de Bernistap

 

 

La ferme de Bernistap était le point de départ du chantier du canal. On y faisait la cuisine, on y blanchissait le linge des ouvriers. Elle était le « poste avancé » des gestionnaires du chantier. Elle a retrouvé sa pleine fonction d’exploitation agricole dès la fin du projet et cela perdure encore aujourd’hui. En face de la cour de la ferme, le passage qui permet la balade du canal. La balade est réservée aux piétons car l’endroit est désormais classé en zone de protection « Natura 2000 ».

La tornade de juin 2021

Nous ne verrons plus jamais la ferme de Bernistap telle qu’on l’a connue depuis l’époque de la réalisation du canal et du tunnel.
Ni depuis que nous avons réalisé ce reportage en 2018.

Le 27 juin 2021, une terrible tornade s’abattit sur la ferme. En quelques minutes, les bâtiments de la ferme furent jetés à terre comme un château de cartes. Par miracle, il n’y eut pas de victime humaine, mais les bâtiments historiques furent complètement ravagés.

Ci-dessous, quelques photos comparent la situation d’avant (les photos du haut) la tempête et ce qui reste après (les photos du bas). Seul le logis de Monsieur Gerardy a été préservé et la toiture refaite, le reste n’a pas pu être reconstruit. Tout est détruit !
Merci à Monsieur Gerardy et à sa sœur de nous avoir un peu parlé de cet évènement dramatique. Nous pensons profondément au choc qu’ils ont subi ainsi qu’à la perte historique qu’a causée cette tornade.

Le canal est devenu une réserve naturelle (classée Natura 2000)

 

 

De la ferme de Bernistap à l’entrée du tunnel, il y a plus ou moins 1 kilomètre de canal. Arrachés à la colline, les déblais étaient remontés par des femmes portant des paniers en osier sur leurs dos. Lorsqu’on progresse le long du canal, on chemine sur un sentier surélevé constitué de tout le schiste extrait de la tranchée. Il régnait sur le chantier, une agitation sans commune mesure avec la quiétude qui baigne les lieux aujourd’hui. Les castors, qui ont envahi l’endroit, semblent vouloir continuer la tâche en abattant les arbres qui ont pris possession des remblais.

Même l’eau du canal s’est endormie sur ce prestigieux projet. Sans courant, l’eau claire au printemps se couvre de mousse dès la venue de l’été.

Le souterrain, qu’on n’appellera tunnel que plus tard

 

 

Il devait trouer la colline sur exactement 2528 mètres. Les ouvriers progressant d’environ 1 mètre par jour avaient fait la moitié du travail avant l’abandon du projet. Plus tard, un éboulement s’est produit à trois ou quatre cents mètres de l’embouchure. On peut encore distinguer les attaches qui servaient aux bateliers à haler leurs embarcations.

Souterrain ou tunnel ?

Les contemporains des travaux – et la chose n’est pas interdite de nos jours – parlaient de souterrain, à propos de Buret : tunnel est un mot anglais qui n’est apparu que plus tard, dans le sillage du chemin de fer.

Draguer ?

L’entrée de l’ouvrage s’est progressivement envasée au fil du temps. Le tunnel haut de quatre mètres ne laisse plus qu’un passage très étroit. D’aucuns voudraient lui rendre son aspect original, mais le site est désormais rendu à la nature. Le souterrain devenu grotte abrite des espèces protégées de chauves-souris.

Remettre le site en état ? C’est possible, selon un ingénieur retraité : “Tout est possible ! Certaines maçonneries pourraient être remises en valeur sans grande difficulté. Pour le reste, il faut draguer des tonnes de boue, et consolider des versants. Ça aussi, c’est possible, mais il faut amener les machines et le charroi sur place. Ce qui, moyennant une bonne coordination du chantier, pourrait se faire par une voie unique qui n’a pas besoin d’être une autoroute. Reste ensuite à savoir que faire des boues de dragage.

Bateaux

Les plus gros bateaux (des Bètchètes) destinés à naviguer sur le canal mesuraient 25 m de long, et 2 m 50 de large, pour un tirant d’eau de 80 cm. Charge comprise, leur poids maximum atteignait 60 tonnes. L’équipage était composé d’un batelier, de deux mariniers et d’un cheval. Dans les souterrains, la progression se faisait à l’aide de gaffes destinées à haler le bateau en s’accrochant aux barres et autres étriers disposés sur la voûte, à espaces réguliers.

L’illustration extraite de la brochure touristique présentant l’ouvrage montre bien par quelle méthode les bateliers faisaient progresser les « betchettes » à l’intérieur du tunnel.

En savoir plus

Couverture du roman : La rivière contrariée

La rivière contrariée : le roman de Gery de Pierpont

Sur fond de mission économico-politique à l’ancienne, La Rivière contrariée entraîne ses lecteurs dans une passionnante enquête à rebondissements. Ce récit d’aventures, tissé dans une page d’histoire aussi fascinante que méconnue, valut à son auteur le Prix Alex Pasquier (Roman historique) de l’Association des Écrivains belges (2003).

En version « papier » et en version numérique

http://larivierecontrariee.com/le-livre


 

canalmeusemoselle.wordpress.com
Le site du Cercle d’Etudes du Canal de Bernistap-Hoffelt

meuse-moselle1830.be
Le site des recherches historiques de l’auteur du roman


Où est caché ce tunnel ?

Bernistap

Bernistap

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Une brochure explicative et gratuite est disponible au Syndicat d’Initiative de Houffalize. Une balade de 15 Km est également proposée jusqu’à la découverte de l’entrée du canal.

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