La forêt ardennaise – Ses gens
Au début du 21 ème siècle, la forêt reste indispensable à la vie des humains, tant pour ses ressources économiques que pour l’équilibre naturel qu’elle entretient en hébergeant une riche biodiversité et en régulant le climat.
On avait un peu oublié tout cela.
Ruraux et citadins redécouvrent une forêt enrichie de multiples fonctions jusqu’alors négligées. L’affluence lors des démonstrations forestières organisées tous les deux ans dans le cadre de la Foire de Libramont est un témoin de ce regain d’intérêt pour les diverses facettes du milieu forestier.
(Photo de titre de Jean-Pierre Ruelle – Démo Forest 2022)
A qui donc appartient la forêt ?
Les propriétaires forestiers se scindent en deux grandes catégories : les propriétaires particuliers et les propriétaires publics. Il est important de retenir que où que l’on se trouve en forêt on est sur un territoire qui appartient à une personne privée ou à une structure publique.
Les propriétaires privés
Ce sont des citoyens, des entreprises (banques…) ou encore des structures comme les associations environnementales détenant des réserves naturelles en zones forestières…
Un propriétaire peut orienter sa gestion vers une production de bois d’œuvre ou au contraire convertir son bien en réserve naturelle ou en territoire consacré plus spécialement à la chasse.
Les propriétaires privés gèrent leur bien comme bon leur semble, A CONDITION que cette gestion ne soit pas contraire au CODE FORESTIER. Le code forestier est un ensemble de conditions émises par les états respectifs (France Grand-Duché, Région Wallonne) qui peut intervenir sur certains points de la gestion privée au nom du bien commun.
La forêt privée est en général très morcelée, la superficie moyenne de la propriété forestière privée en Belgique est de 2,5 Ha. Au fil des héritages familiaux et des découpages qui s’ensuivent, il n’est pas rare que des propriétaires aient complètement oublié leur propriété. Lorsque le bien repose, comme c’est parfois le cas, sur quelques ares de forêt, on peut comprendre.
Outre la prise en compte économique des intérêts privés, la forêt apparait de plus en plus comme un « bien commun » par son influence capitale sur l’état de l’environnement. Les propriétaires particuliers – grands ou petits – sont confrontés à des impératifs de gestion de plus en plus complexes à organiser. Des structures de soutien se mettent en place partout en Europe afin d’appuyer la gestion des forêts privées. Ici, les propriétaires wallons échangent avec leurs homologues suisses.
Les propriétaires publics
Ce sont des structures administratives : états, régions, communes, centres d’action sociale ou encore les «fabrique d’église»…
Dans ce cas, les bois et forêts sont gérés par une administration spécifique : l’Office National des Forêts (ONF) en France, le Département de la Nature et des Forêts (DNF) en Région wallonne et l’Administration de la nature et des forêts au Grand-Duché de Luxembourg.
On dit des forêts publiques que ce sont des forêts soumises. Parce qu’elles sont « soumises au régime forestier », c’est-à-dire gérées par les administrations nationales (régionale dans le cas de la Wallonie). Les agents délégués par les administrations ont la charge de la gestion des propriétés : la production de bois, l’exploitation forestière, la chasse, le tourisme, la conservation de la nature. Ces « gardes forestiers » jouissent du statut d’Officier de Police Judiciaire à compétence limitée et à ce titre ont l’autorité de faire respecter la loi forestière.
Vers la réglementation de la circulation en forêt wallonne >>
Le « garde forestier » comme on l’appelle traditionnellement est responsable d’un triage, une superficie forestière publique de plusieurs centaines d’hectares. Il gère la production de bois, l’espace naturel et l’accès à la forêt.
On peut être très content de le voir arriver si on est perdu au milieu des bois, moins content si on dissimule sous sa casquette des grives prise au collet.
La forêt et ses usagers
Si les paysages forestiers ardennais se sont transformés au cours des siècles, la perception de celle-ci par les humains a également évolué.
Depuis Ambiorix, et même bien avant lui, les Ardennais sont restés dépendants de la forêt ; elle était – et est toujours – leur lieu de vie et leur principale ressource. Elle fournissait le bois pour l’habitat, pour le chauffage, pour les outils agricoles… Elle fournissait la nourriture grâce au gibier (on chassait le sanglier à coups de poings comme il se doit), grâce aux cueillettes (champignons, myrtilles…), grâce aux poissons des rivières vives et transparentes, ou servait-elle encore de pâturage aux animaux domestiques.
Elle était une forêt nourricière, un garde-manger ainsi qu’un toit et un feu.
Dès la fin de la deuxième guerre mondiale et les transitions sociales profondes qui se sont opérées dans la société contemporaine, la forêt s’est ouverte aux loisirs. Grâce à la prise de conscience environnementale face à l’impact écologique de l’être humain et le constat de la nécessité absolue de conserver la biodiversité et de protéger les écosystèmes, le rôle de la forêt s’est enrichi de nouvelles fonctions.
Elle était nourricière, donc économique. Elle s’est chargée de nouvelles responsabilités : un rôle social et un rôle écologique.
Fonction économique
La forêt fournit toujours du bois pour nos maisons, pour nos feux, pour la pâte à papier et tous les usages développés à travers l’histoire et ceux, nouveaux, à venir.
Le pâturage en forêt a disparu, la cueillette relève désormais plus d’un loisir que d’une nécessité, ainsi que la chasse. Cette dernière est devenue un pur loisir mais garde un pied dans la catégorie économique par les revenus qu’elle génère auprès des propriétaires forestiers. Les loyers perçus par les communes n’ont rien de négligeable.
Les sylviculteurs cultivent la forêt. Ils sont entre-autres responsables de la production de bois er de leur délivrance au reste de la « Filière Bois » qui exploitera, transformera ou exportera les produits de la forêt.
Ces opérations économiques se sont très fortement mécanisées depuis les dernières années du siècle précédent. Jusqu’alors, rares étaient les jeunes ardennais qui, en attendant le service militaire ou un premier emploi, n’avaient pas passé quelques mois ou quelques années dans un boulot forestier. Il y avait à faire : plantation, dégagements, élagage, abattage, débardage, sciage, fendage…
A l’époque toute récente de l’exploitation encore artisanale de la forêt, la Wallonie pouvait s’enorgueillir de gérer une forêt comptant parmi les plus productives du monde, proportionnellement à la surface disponible évidemment. Car la valorisation des grumes exploitées était poussée à un point tel qu’aucun gaspillage n’était commis.
Est-ce toujours le cas avec la mécanisation et la standardisation actuelle des produits forestiers ?
L’exploitation forestière s’est très fortement mécanisée.
Fonction sociale
Le développement du chemin du début de l’ère industrielle avait déjà amené un public plutôt privilégié vers les lieux de villégiature comme on disait alors. Spa et ses promenades furent certainement les premiers pôles de rendez-vous ardennais d’une noblesse, puis d’une haute bourgeoisie un peu désœuvrée et trop bien nourrie. Ce n’est pas vraiment la magie des forêts d’Ardenne qui attirait ces premiers touristes, ou alors pour aller se consoler (ou se pendre) dans les bois après avoir perdu une fortune au casino. C’est un peu déplacé de parler de fonction sociale dans le cas de ce public privilégié, nous le concédons.
C’est avec l’avènement de la société des loisirs dès les années d’après-guerre que les portes des forêts se sont ouvert toutes grandes. La petite auto familiale permit les promenades dominicales pour toute la famille. A la belle saison, il était coutume de rentrer en ville avec un bouquet de genêts accroché au pare-chocs de la Renault 4 ou de la Deuche (traduction à l’intention des jeunes générations : la 2 CV Citroën).
Avec la société qui s’urbanisait de plus en plus, un besoin pressant de ressourcement grandissait en parallèle ; la forêt devint le remède tout indiqué. Au cœur des forêts, on rencontre désormais plus d’aires touristiques que de huttes de charbonnier. Plus de promeneurs que de braconniers – ce n’est pas plus mal – et plus de VTT que de bûcherons.
Parce qu’elle est accueillante et pleine de vie, la forêt est une école de vie ; les mouvements de jeunesse ne nous contrediront pas. De plus en plus, des classes vertes et plus récemment, des Ecoles du dehors gagnent le couvert pour se reconnecter à la nature.
L’activité touristique (ainsi que la chasse), chevauche le rôle social et le rôle économique ; l’aspect économique de la forêt-loisir est également significatif.
Les trois fonctions de la forêt contemporaine décrétées par l’homme s’entrecroisent intimement, comme la vie de la forêt, elles sont interdépendantes.
Les aménagements touristiques ne sont pas rares en forêt. Les différents utilisateurs doivent se partager l’espace forestier.
Fonction écologique
Il n’est pas nécessaire d’être un écolo radical pour affirmer aujourd’hui que les actions humaines ont un impact tellement important sur la planète que celle-ci est en train de nous exploser à la figure. BOUM, PAF, CRAC, c’est violent !
Pourtant, l’école nous enseigne depuis très longtemps l’importance des forêts sur la régulation du cycle de l’eau et du climat. Le réchauffement climatique, les sécheresses à répétition suivies des inondations tout aussi répétitives, l’effondrement de la biodiversité, nous éclairent sur le rôle de plus en plus évident de la fonction écologique des forêts.
Durant des siècles, l’homme a façonné la forêt selon ses besoins, sans le moindre souci de l’impact créé sur l’environnement, c’est-à-dire sur la nature, c’est-à-dire sur la vie et sa formidable complexité.
En gestion forestière, en sylviculture donc, un grand, très grand pas en avant est en train de se produire en faisant… marche arrière.
Un certain nombre de principes du passé sont très largement remis en cause. Les renards et autres martres et blaireaux ne sont plus qualifiés d’animaux nuisibles. Des arbres morts sont désormais conservés pour servir de refuge à la biodiversité alors que quelques décennies auparavant, ils étaient éliminés pour éviter, justement, d’attirer les insectes. Les zones humides sont protégées et non plus asséchées. Le renouvellement des propriétés forestières après l’exploitation des arbres est de plus en plus conduite par une régénération naturelle plutôt que par plantation systématique de la même espèce…
Alors que, en forêt comme ailleurs, l’homme n’eut de cesse de combattre la nature ; le tournant semble bien amorcé, la nature devient maintenant un allié de l’espèce humaine. Il était temps de comprendre que la forêt est une véritable source de vie du sous-sol à la canopée.
Pourvu qu’il ne soit pas trop tard, pourvu que nous l’ayons compris à temps, l’avons-nous suffisamment compris ?
Rendez-vous dans quelques temps pour le constater !
Il n’y a pas si longtemps, un tel arbre cassé et porteur de champignons aurait été évacué rapidement, de crainte qu’il n’attire de « la vermine ».
Aujourd’hui, ce genre de chablis est conservé au bénéfice de la biodiversité.
Cohabitation
La forêt remplit donc plusieurs fonctions simultanées. Ces rôles sont tenus par différents acteurs revêtant chacun son propre costume : le chasseur, le promeneur, l’artiste photographique, le marchand de bois, le naturaliste. On parle donc bien de priorités différentes selon l’acteur et l’usage qu’il fait de la forêt.
La cohabitation n’est pas toujours simple.
Si on prend la peine d’essayer de comprendre le fonctionnement le la vie sur la planète, plus spécialement la vie de la forêt puisque nous y sommes, on ne tarde pas à se rendre compte de l’extême complexité des échanges entre tous les éléments de la vie forestière. Chaque acteur le la vie, du champignon microscopique au cerf majestueux, entretient des relations intimes et discrètes avec son voisin. D’une manière ou d’une autre, ils créent ensemble un équilibre, un milieu qui permet à chacun d’y trouver son compte.
Les événements climatiques qui frappent à nos portes (et même qui enfoncent nos portes) nous apprennent qu’il faut aborder autrement les relations entre les hommes et la forêt.
On sait – il ne manquerait plus que cela – qu’une forêt naturelle favorise la biodiversité. On apprend qu’une forêt gérée selon des principes plus respectueux des équilibres naturels se révèle être plus résistante aux aléas climatiques. Elle est plus résiliente selon le terme qui s’impose de plus en plus dans notre vocabulaire courant.
Une forêt en bonne santé écologique gardera des arbres en bonne santé économique dont le bûcheron bénéficiera à son tour. Les intérêts économiques, sociaux et environnementaux interragissent sans cesse.
Le tout est une question d’équilibre, une fois de plus !
Nous laisserons les derniers mots à Gérard Jadoul qui concluait sa participation à la dernière édition (2017) du Grand Livre de la Forêt sur ces questions pertinentes:
Que vaut la protection des sols ?
Que rapporte la rétention des eaux ou quels coûts en catastrophes naturelles permet-elle d’éviter ?
Quels dommages futurs la société épargne-t-elle en captation de CO2 ?
Combien « vaut » un paysage ?
Bonne question : combien « vaut » un tel paysage ?
Cette photo sélectionnée pour le concours Agrinature 2022 est de Phil Govaerts (>> FB Phil Photography)
Textes : Fr. Rion – Mediardenne -Octobre 2022
La photo du titre est de de Jean-Pierre Ruelle à Démo Forest 2022
Merci à Jean-Pierre Offergeld pour la relecture et les précisions techniques.
Pour aller plus loin :
- Le grand livre de la forêt wallonne – Collectif – Ed. Mardaga 1985
- Le grand livre de la forêt – Collectif – Ed. Forêt Nature 2017
- La forêt – Bary-Lenger, Evrard, Gathy – Ed. Vaillant Carmanne 1979
- L’Ardenne et l’Ardennais – G. Hoyois 1948 (Collector)
- Terre ardennaises / Revue d’histoire et de géographie locale – L’homme et la forêt – n°8, sept. 1984
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