La truite, l’anneau et le miracle
Pâques 2016, la Fédération Sportive de Pêche Francophone Belge organise cinq jours de stage à destination des jeunes.
Les 24 stagiaires sont reçus à Engreux, près de Houffalize, mais les séances d’entraînement sont itinérantes. Un peu en eaux vives, au bord de l’Ourthe, un peu en étang.
C’est à l’étang de Basse-Bodeux, à Trois-Ponts que le miracle se produit pour un des plus jeunes stagiaires. Timour a dix ans seulement, mais le gamin est déjà sacrément doué et bardé d’une solide d’expérience (le lecteur pardonnera certaines familiarités de langage et une évidente propension aux superlatifs concernant le jeune pêcheur, mais l’auteur de ces lignes n’est autre que le grand-père du stagiaire…).
Pourtant, ce matin-là, et malgré le talent incomparable du jeune génie de la pêche… ça fait quand-même beaucoup de superlatifs… Soyons raisonnable, ce matin-là, ça ne marche pas très fort pour Timour, les touches se font attendre. Tout à coup, les poignets du garçon vibrent sous « un départ appuyé », une grosse touche courbe la canne. Un poisson de cette force et de cette taille, cela ne peut être qu’une grosse carpe.
« Non, non c’est une énorme truite, s’écrie un des stagiaires, je viens de la voir »
Au bord de l’étang, y compris chez les moniteurs, l’incrédulité règne ; une truite de cette taille c’est rarissime.
Sous la terrrrible traction, la canne se tord et se courbe mais ne rompt point. La ligne se tend mais le fil résiste à la traction, alors que les nerfs du gamin résistent à la pression. Timour, entouré de ses congénères et rejoint par les moniteurs, travaille le poisson avec l’aide et les conseils des enseignants. Vingt minutes d’âpre lutte se sont écoulées. Tous revivent l’aventure du vieux pêcheur d’espadon qu’Ernest Hemigway a décrite dans le « Vieil homme et la mer ». C’est homérique. (Je rappelle à l’auteur qu’il faudrait y aller mollo avec les superlatifs…)
Et, catastrophe, une fois de plus, le matériel trahit l’homme. Dans un invraisemblable fracas (?), comme le déraillement d’une locomotive à vapeur, la ligne se brise. Ou plutôt, et plus simplement, l’anneau porteur de fil, au bout de la canne, se décroche. Ce qui fait nettement moins de bruit qu’un déraillement, mais pour les acteurs de la scène, le résultat a dû paraître identique.
Le moniteur, Julien, aux réflexes prompts comme doit les avoir un homme d’action, lance sa propre ligne. Il espère emberlificoter son fil à la ligne du malheureux stagiaire. Il y réussit, le diable d’homme (nous verrons plus bas que cette expression est un peu malheureuse). Ainsi à deux, les héros ramènent sur la berge, via une trop petite épuisette, une énorme truite mâle de soixante-trois centimètres. Soixante-trois centimètres ET DEMI précise Timour, en bon pêcheur qu’il est devenu.
C’est seulement à partir de cet instant que l’épopée devient miracle.
Reprenant leurs esprits, les stagiaires immortalisent l’exploit par quelques photos d’usage. La truite combattive retrouve le chemin de l’étang, fatiguée et vaincue mais libre et vivante.
Les pêcheurs entreprennent alors de démêler la victorieuse paire de fils emberlificotés à dessein.
Le croirez-vous : au moment où les cloches de l’église proche sonnaient l’Angélus, stagiaires et moniteurs découvrirent que les fils n’étaient pas le moins du monde emmêlés, mais…, mais… ( j’en perds le souffle) ; mais, que le crochet de l’hameçon de la ligne lancée à la rescousse, s’était glissé à l’intérieur de l’anneau défaillant. Il y avait à peu près une chance sur quinze milliards que cela puisse arriver. C’est arrivé, c’est un miracle, l’Angélus le confirme.
Est-ce étonnant, sachant qu’il y a quelques siècles déjà, à Orval, une truite rapporta l’anneau d’or que Mathilde avait laissé glisser dans l’onde de la fontaine. Décidément, les truites, l’Ardenne et les miracles sont liés à jamais.
La photo est de Benoit Sottiaux.
Le reportage (plus objectif celui-là) est paru dans « le Pêcheur Belge » de mai 2016
www.lepecheurbelge.be